27 juin 2016

ALEXANDRE JARDIN : « JE NE LAISSERAI PAS LA FRANCE À L’EXTRÊME DROITE »

Article paru dans le Monde du 26 juin 2016
Je ne serais pas arrivé là si…
… Si je n’avais pas eu cette enfance magique. Cette mère et ce père qui n’étaient retenus ni par la peur ni par aucun autre frein. Ma mère avait trois hommes dans sa vie, et c’était assumé. Mon père, Pascal Jardin, écrivain et scénariste, avait fait sienne la maison de campagne de Seine-et-Marne qu’un des hommes de maman avait achetée en vidant le compte en Suisse de son associé.
Il s’était installé dans la chambre principale. Il y perdait au poker les millions qu’il n’avait pas. Et qu’il remboursait dans la foulée en écrivant des scénarios en trois semaines. Quand il trouvait que la vie manquait de sel, il m’emmenait en voiture glisser un chèque en blanc dans le bottin d’une cabine téléphonique, en me disant : « Si quelqu’un trouve le chèque, mon fils, on est ruinés. Alors, vivons ! »
Ce n’était pas inquiétant pour l’enfant que vous étiez ?
Les enfants aiment la vie ! Parfois, mon père me réveillait en pleine nuit pour faire des farces téléphoniques. Il appelait Michel Poniatowski, le ministre de l’intérieur, qui finissait par le reconnaître. Alors mon père hurlait qu’on était découverts, cernés. On se barricadait, on sortait les Winchester et on tirait sur les volets des voisins.
Il ne faisait pas de distinguo entre la réalité et les films qu’il écrivait. C’était très romanesque. J’ai reçu un correspondant anglais. Un soir, mon père nous a fait enfiler une veste par-dessus le pyjama, et nous a emmenés au Paradis latin. Il nous a montré la femme dont il était fou, qui sortait nue d’une cage de fauve sous les ordres d’un dompteur agitant un fouet. John, le correspondant, a voulu revenir l’année suivante.
Que disiez-vous de cette vie à l’école ?
J’habitais dans le 16e arrondissement de Paris, j’allais à l’école catholique. Entre les aubes blanches et les femmes fouettées, je faisais le grand écart. En 5e, j’ai voulu en partir, ma mère m’a fait la confiance inouïe d’accepter. Elle m’a inscrit dans une école autogérée, « L’école et la ville », quartier de l’Opéra, tenue par des soixante-huitards. Les terminales, le jeudi, avaient cours d’entraînement à l’orgasme. Au bout d’un an, j’ai supplié ma mère de me remettre dans le système normal – elle avait donc eu raison de m’écouter ! Pour pouvoir être admis à l’École alsacienne, j’ai dû devenir bon en classe.
Comment avez-vous fait face au décès prématuré de votre père, Pascal Jardin, à l’âge de 46 ans ?
J’avais 15 ans. Ma mère m’a dit : « Tu es maintenant le chef de la famille. » La phrase d’une femme désespérée. D’un coup, c’était la fin de la fête. L’argent comptait. D’autant qu’il n’y en avait plus. La magie s’était évaporée.
Et vous passez d’une vie fantasque au sérieux de Sciences Po Paris, section économique et financière…
Je suis sans père, il faut que je gagne vite ma vie. Pourtant à Sciences Po, au bout de trois mois, je me rends compte que les professeurs sont fous, qu’ils ne sont pas dans la vie, mais dans leur monde, avec leur vocabulaire propre, leurs présupposés. Je me souviens d’un gros clash avec un prof : il voulait me faire écrire qu’une baisse d’impôts est une « dépense fiscale ». 
Finalement, ce n’est pas l’économie mais l’écriture qui vous permet très vite de gagner votre vie. Comment y venez-vous ?
Juste après le bac, pour séduire une fille, j’ai écrit une pièce de théâtre dont elle était le personnage central. Cela a marché… J’ai continué. J’ai envoyé mes pièces à Jean Anouilh, qui m’a conseillé, enthousiaste, d’aller voir Michel Bouquet au Théâtre de l’Atelier. Il voulait les jouer, mais son agenda était plein pour deux ans. Pour le jeune homme de 18 ans que j’étais, devenu adulte plus vite que les autres, attendre était impensable !
Un jour, dans une queue de cinéma, un homme m’interpelle. « Tu es un fils Jardin ? » C’est un attaché de presse du cinéma qui a connu mon père lorsque ce dernier, à 15 ans, était le gigolo d’une milliardaire (lui couchait avec le chauffeur).
Il fait lire mes pièces à l’éditrice Françoise Verny. Je n’étais pas d’accord, je ne voulais pas écrire de romans. Pour moi, la littérature, c’était un monde de gens compassés, où l’on meurt jeune. L’éditrice a fini par s’inviter, ivre morte, chez ma mère, et m’a fait un numéro dantesque. « Ecris-moi un roman, chéri. » Là, je me suis senti en famille. Ça m’a sécurisé. J’ai écrit Bille en tête, puis Le Zèbre.
Vous avez eu le Prix du premier roman, puis le prix Femina. Le succès, aussi jeune, tourne la tête ?
Non, tout le monde était connu à la maison, je ne pouvais pas épater avec ça. Claude Sautet était l’un des hommes de maman… Cela m’a juste permis de faire des enfants très vite et de les élever.
Vous êtes romancier mais, depuis près de vingt ans, vous menez une double vie, car vous créez aussi des associations. Lire et faire lire (des retraités transmettent aux élèves le plaisir de la lecture), Mille mots (pour accroître le vocabulaire des jeunes détenus), puis les Pompiers juniors dans les collèges, le mouvement Bleu Blanc Zèbre (qui réunit ceux qui « réparent le pays »)… D’où vient ce militantisme social ?
J’assiste à la percée du Front national (FN), dans la seconde moitié des années 1990. Je vois que mon pays commence à se fracturer, que les classes populaires rejettent les partis politiques, et que ces derniers sont dans le même déni du réel que les élites françaises des années 1930.
Dans mon crâne, il y a cette obsession : la famille politique de mon grand-père, Jean Jardin, directeur de cabinet de Pierre Laval (d’avril 1942 à octobre 1943), tous ces gens fondamentalement anti-français car hostiles à l’universalisme qui fait la grandeur de notre culture, ne doivent pas approcher du pouvoir.
Je veux faire ma part, gouverner en agissant sur le réel. Dans la lignée de ma famille maternelle. Le grand-père de ma mère, ami intime de Jean Jaurès, avait cédé toute la fortune familiale pour créer L’Humanité, il avait fondé les boulangeries sociales et les caisses mutualistes…
Depuis 1998, je repère les bonnes pratiques partout en France et je tente de bâtir des extensions nationales. Lire et faire lire, une idée née à Brest, ce sont aujourd’hui près de 20 000 bénévoles retraités, 650 000 enfants bénéficiaires. Si l’on sort les gens du désespoir, on les sauve des extrêmes.
Vous sillonnez en permanence la France, et vous en dressez un portrait assez noir…
Si la réalité était sue, le FN serait encore plus haut… Je vois le délabrement de pans entiers de la République. Les juges qui prononcent des peines jamais exécutées. L’Ile-de-France est un point de croissance au-dessus de la moyenne nationale. Mais 80 % du territoire est en récession depuis des années. C’est cela, l’explosion du FN. Des territoires entiers de pauvreté. Pas des îlots ! Neuf millions de personnes… J’ai cette sensation bizarre que le pays hésite entre renaissance et chaos. Je vois une inventivité locale prodigieuse et des pères de jeunes agriculteurs qui ont du mal à calmer leurs fils armés.
Vous défendez l’action plutôt que la loi, les citoyens agissant contre les élites politiques, les régions contre un Paris centralisateur… N’est-ce pas du populisme ?
Ce mot, « populisme », c’est la dernière ligne de défense des élites parisiennes qui, elles, font du populisme avec toutes leurs promesses non tenues… La vérité, c’est que le système est en train de disjoncter. Une caste administrativo-politique hors-sol confisque le pouvoir. Il faut mettre fin au jacobinisme, à ce pouvoir vertical, descendant et condescendant. Inefficace.
Après trente ans de réformes de l’éducation nationale, 20 % d’une classe d’âge ne sait pas lire ! Si l’on ne parie pas sur les territoires, sur une classe politique locale très au-dessus du lot, on ne s’en sortira pas.
Il faut raisonner à partir du terrain, du réel, de ceux qui font déjà leur part. En finir avec l’approche administrative, normative, centralisatrice. Quel sens est-ce que cela a, par exemple, de définir la politique du logement ou de l’éducation à Paris ? Il faut parier sur les régions, leur confier l’effectivité des grandes politiques.
Nous allons lancer un mouvement politique, une alliance entre les « Faizeux », qui ont des solutions concrètes, et les grands élus locaux, qui n’attendent plus rien du pouvoir central.
Vous semblez vous sentir personnellement responsable du sort de la France. Est-ce lié au passé de votre famille ?
Moi, le petit-fils de collabo, je ne laisserai pas le pays à l’extrême droite. Je ne permettrai pas le retour de l’indignité. Si le FN accédait au pouvoir, et que je n’aie rien fait, j’en aurais tellement honte ! Or les partis politiques qui prétendent s’opposer au FN le font monter par leur prodigieuse inefficacité.
Pourquoi croire que le tragique est sorti de l’histoire ? Si le système est capable d’envoyer Hollande et Sarkozy à l’élection présidentielle, et il en est capable, alors on entre dans une zone de risque invraisemblable.
Le « Brexit » nous montre que les peuples qui souffrent n’ont plus peur de l’incertain. L’Europe et la France partagent une maladie : le « hors-sol » de la classe dirigeante, déconnectée du réel, des citoyens, entravant les initiatives par un système normatif proliférant.
La publication, en 2010, de « Des gens très bien » (chez Grasset), sur le passé collaborationniste de votre grand-père, a-t-elle constitué un tournant dans votre engagement ?
C’est l’acte fondateur de ce que je suis aujourd’hui. Je ne me serais pas autorisé à entrer franchement dans la sphère publique si je n’avais pas été en ordre avec moi-même, et clair par rapport à mes cinq enfants.
Mon troisième fils m’a remercié pour ce livre, parce qu’il avait été attaqué sur le sujet. J’en ai été très touché. En fait, c’est en début de 1re que j’ai commencé à découvrir le véritable passé de mon grand-père. Mon père écrivait sur lui, mais avec un regard d’enfant. Il y a des secrets de famille cachés, d’autres qui sont montrés afin qu’on ne les voie pas…
Un copain de l’École alsacienne anormalement cultivé, issu d’une famille de marchands d’art juifs autrichiens, m’a dit un jour : « Il y a un problème dans ta famille. » Il avait lu les livres de mon père, repéré que mon grand-père était aux affaires au moment de la rafle du Vél’ d’Hiv, et qu’il n’avait pas démissionné.
Le bras droit d’un chef de gouvernement qui a trié les hommes. J’ai esquivé, j’ai traîné mon copain au cinéma. Cela ne collait pas avec ma famille, foldingue, libertaire. Il m’a fallu des années avant d’admettre l’impensable. C’était mon nom ! C’était le grand-père qui me fascinait, enfant, ce mélange de charme et de grande autorité. Il a rendu le rapport au réel impossible pour sa descendance.
Vous avez viscéralement besoin de la fiction ?
Je suis fondamentalement écrivain et épris d’invention. J’écris mes romans dans les trains, entre une réunion dans un quartier de prison pour mineurs, et une autre à Pôle emploi ou au congrès de la CFDT… Plus je plonge dans le réel, plus j’ai besoin de rêve. Je viens de remettre un roman chez Grasset. Un vrai roman d’amour.

Propos recueillis par Pascale Krémer


Laissez-nous faire ! On a déjà commencé, le manifeste des « faizeux », éditions Robert Laffont, 2015.

24 juin 2016

L’EUROPE ET LA FRANCE, MALADES DU « HORS SOL » DE LEURS CLASSES DIRIGEANTES

Brexit et hors sol
Certaines maladies sont contagieuses, et même dangereusement contagieuses. Il en est ainsi du « hors sol ». 
La centralisation historique française, comme la bureaucratie rampante européenne, ont conduit à une confiscation du pouvoir par une classe politico-administrative hors sol.
Déconnectée du réel, coupée des citoyens au service desquels elle devrait être, elle pond des règlements incompréhensibles et entravent les initiatives par un système normatif proliférant.
Tel est bien un des principaux enseignements du Brexit : l’Europe et la France partagent cette maladie.
Le chemin pour soigner notre maladie collective est clair : reconstruire la France comme le noyau européen à partir du réel, c’est-à-dire de ses territoires et de tous ceux qui font déjà leur part. Pour rétablir des minimums !
Telle est la logique de l’appel pour l’Alliance des Citoyens en Marche que j’ai lancé la semaine dernière.

Alexandre Jardin

20 juin 2016

LA COLÈRE DU ZÈBRE (SUITE)

Je suis en colère.
La colère de voir notre pays en train d’imploser.
Ceci est largement dû aux quatre siècles de jacobinisme, de centralisation, de politique descendante et condescendante. Loin de produire de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, la centralisation a conduit à une confiscation du pouvoir par une classe hors-sol, un renforcement des puissants et des favorisés, un éclatement de notre société qui conduit à un durcissement des égoïsmes et des réflexes identitaires.
Je crie : Cela suffit !                          
Construisons en 2017 une France où il y ait moins d’ego et plus d’égaux. Une France solidaire et métissée, partant de ses territoires. Une France qui mobilise les Faizeux qui ont gagné leur légitimité par l’action.
Isolément, rien ne sera pas possible, car chacun séparément ne pourra rien contre les blocages du système.
J’en appelle à ce que chacun sorte du « Je ».
J’en appelle une « Alliance des Citoyens en Marche ». Une Alliance de gens forcément très différents mais d’accord pour faire confiance aux territoires et à ceux qui font leur part.
Suite à mon appel appuyé par l’EXPRESS, certains m’ont reproché de ne pas avoir cité de noms de femmes. Je m’en excuse d’autant plus que les femmes ont toujours été le pivot de mes années de combat.
Je sais que les Faizeux sont d’abord des Faizeuses !
Je pense par exemple à Marie Trellu-Kane qui a inventé le service civique en France avec Unicité, à Stéphanie Goujon qui a fondé l’Agence du Don en Nature, à Florence Gilbert qui avec son mouvement Wemoov a commencé à régler les questions de transports pour nos chômeurs, à Stéphanie Rivoal la Présidente d’Action contre la Faim, à Maria Nowak le grand moteur en France du micro-crédit avec le fonds ADIE, ou à l’engagement de Mélanie Laurent pour que le film « Demain » existe.
Je pense à toutes celles qui œuvrent dans les mouvements citoyens - comme Corinne Lepage -, dans les syndicats - comme Nicole Notat ou Laurence Parisot - ou aux intellectuelles-faizeuses prêtes à sortir du cadre - comme Élisabeth Badinter.
Je pense à nos élues locales de haute tenue comme Catherine Vautrin (Présidente de l’agglomération de Reims), Natacha Bouchart (Maire de Calais),  Carole Delga (Présidente de région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées), Dominique Verien (Présidente de l’Association des Maires Ruraux de l’Yonne) et tant d’autres que j’ai appris à connaître.
L’objectif de l’Alliance est clair : débrancher le logiciel centralisateur, permettre au peuple d’être enfin acteur et parier sur la puissance de la France qui fait déjà sa part - pour arrêter la montée actuelle du pire. 
La solution ne peut être que collective et horizontale. Terminé les « J’y vais » ou pas. C’est « J’y vons ! » que nous devons crier. Vive les Faizeuses !

Alexandre Jardin

17 juin 2016

250 FAIZEUX À LA RADIO

Les bonnes idées sur Sud Radio

Chaque jour, Alexandre Jardin fait interviewer un Zèbre - et donc toujours un vrai Faizeux ! - sur Sud Radio.
Allez donc les réécouter : un kaléidoscope rafraîchissant et revigorant de tous ces Français qui font déjà leur part... et souvent plus !
Pour cela, il suffit de cliquer là sur ce lien, puis de choisir au hasard parmi 250 émissions !

16 juin 2016

14 juin 2016

LA COLÈRE DU ZÈBRE (Alexandre Jardin)

Depuis des années, Alexandre Jardin réveille la France d'en bas, fait lire les enfants et agir les grands. Cette fois, exaspéré par l'inertie de l'Etat et l'incurie des partis, il appelle dans L'Express à une véritable révolte citoyenne lors de la présidentielle 2017. Pour changer la France.

Qu'Emmanuel Macron démissionne. Que Thierry Mandon, ci-devant ministre de la Réforme de l'Etat désormais chargé de la Recherche, en fasse autant. Que Jean-Louis Borloo sorte de son silence et Daniel Cohn-Bendit, de sa réserve. Alexandre Jardin exhorte ces oiseaux rares de la politique, ces marginaux qui, chacun, ont secoué le système, à se lever d'un seul mouvement pour bousculer la présidentielle. 
Avec eux, à côté d'eux, il souhaite qu'une « alliance des citoyens en marche » s'inspire des actions de terrain pour remplacer l'Etat centralisateur et déborder les partis castrateurs. 
L'Express le soutient, parce qu'il aime la France. 
L'Express le soutient, parce qu'il croit en la politique, la vraie, et ne crie pas « tous pourris ». 
L'Express le soutient, parce qu'il est de ces poètes révoltés dont le rêve finit par changer le monde.

Christophe Barbier (L'Express du 15 juin 2016)


Je suis en colère. Et pourtant, voir le verre français à moitié vide n'est pas ma nature. Mais là, franchement, je suis en colère(s).
La colère de quelqu'un qui a commencé à faire sa part. La colère bienveillante, froide et déterminée d'un homme qui s'est levé, qui agit depuis longtemps, et qui a la fièvre des autres.
La colère de vivre dans un pays hautement détraqué où les minimums ne sont plus des minimums. Dans tous les domaines, à présent ! Un pays au bord du point de rupture - sans que les élites de la capitale, disjointes de la nation, se rendent réellement compte de l'urgence.
Et de l'imminence de la crise politique qui fermente. La colère de voir une caste administrativo-politique très inefficace confisquer le pouvoir sans aucune honte. L'entresoi coûte trop cher aux 9 millions de nos concitoyens qui vivent sous le seuil de pauvreté et aux entreprenants qui se battent encore.
La colère de voir les solutions pragmatiques de nos élus locaux et des citoyens qui oeuvrent sur le terrain - l'armée des « oeuvriers », des « Faizeux », des « makers » - être ignorées et traitées de haut. Quel mépris ! La colère de voir la France que j'aime être plongée dans une dépression sans fin et tentée par des malveillants qui giflent nos valeurs, celles que défend notre drapeau. Quelle honte ! Il y a plus de quinze ans, angoissé par l'énormité des fractures françaises, je suis devenu ambidextre à plein-temps : une main d'écrivain, une main de citoyen cofondant avec joie des associations, pour faire ma part.
D'abord, parce que j'avais eu honte de voir que le premier des minimums - que chaque petit Français sache lire et écrire - n'était plus respecté, j'ai lancé « Lire et faire lire » . J'ai dit non à la fatalité en mobilisant les retraités dans les maternelles et les écoles primaires afin de transmettre le plaisir de la lecture. L'idée était de vacciner les petits contre l'échec scolaire. Aujourd'hui, ce sont presque 20 000 bénévoles qui agissent dans nos 100 départements; ceux que l'on disait inutiles, trop anciens, se sont levés. 650000 enfants en bénéficient chaque année. Quelle victoire! Ensuite, tout s'est enchaîné : l'association Mille Mots pour augmenter le vocabulaire des détenus de nos quartiers pour mineurs, l'initiative les Pompiers-juniors, de l'Ecole ouverte, afin de transformer les caïds des quartiers en pompiers de leur collège, de dénicher des partenaires opérationnels, l'un de meilleurs dispositifs antiviolence au collège, etc.
En 2001, avec l'aventure de l'Agence des bonnes pratiques, soutenue par Matignon, j'ai commencé à côtoyer la techno -structure parisienne et à voir combien ce n'était pas naturel pour elle de coopérer sérieusement avec les acteurs d'une société civile adulte. Pour ces aristocrates de l'Etat, j'ai vite compris que n'avoir fait que Sciences po sans le prolongement naturel de l'ENA me renvoyait dans la case des mal nés! Mais, malgré tout, croyant encore que l'on pouvait transformer notre pays par l'action locale, j'ai lancé, il y a trois ans, le mouvement Bleu Blanc Zèbre.
Ma stratégie était simple : créer une alliance des Faizeux, pas des Diseux ; rassembler et aider des maires sûrs de leurs méthodes éprouvées, des fonctionnaires innovants, des associations créatives, des entrepreneurs audacieux et des femmes qui assurent déjà le leadership de cette France pragmatique. Tous ceux et celles qui, raisonnant en dehors du cadre et souvent contre leur hiérarchie calcifiée, obtiennent déjà des résultats pour réparer les fractures du pays.
Désormais, cette plateforme civique se structure pour proposer à nos régions et à nos communes des solutions articulant nos actions qui, auparavant, travaillaient isolément. Une puissance est en train de naître. Détecter les talents crédibles de la société civile et l'excellence de nos élus locaux était un préalable pour recommencer la France. Ils détiennent les outils de son rétablissement. Fin juin, nous lancerons une grande initiative en direction des acteurs territoriaux de Paca, qui sera le premier acte de nos plateformes civiques régionales.
Quelle joie ! Aujourd'hui, après plus de 300 déplacements dans nos territoires pour repérer nos pratiques les plus performantes, après avoir relié 220 opérateurs performants qui, sans se soucier de l'Etat central, règlent chaque jour nos problèmes réels, je sais quelque chose d'essentiel : il n'est pas de problème français qui n'ait pas déjà trouvé une solution concrète locale. L'armée des Faizeux, publics et privés, est prête à oeuvrer. Elle est crédible car ses généraux ont déjà gagné des batailles difficiles, acharnées, fait reculer la fatalité.
Mais je sais aussi, malheureusement, que je me suis trompé : malgré cette fédération à grande échelle, agir sur le terrain est insuffisant. J'avais sous-estimé combien un pouvoir central fondamentalement bureaucratique, normatif et organisé en silos pouvait bloquer les initiatives. En vérité, il n'est pas prêt à nous laisser faire, même si nous avons déjà commencé avec foi... Tous ceux qui font leur part sur le terrain le savent, hélas.
Aussi je reprends leur cri : Cela suffit ! Il n'est plus possible, juste plus possible, de continuer les quatre siècles de jacobinisme, de centralisation, de politique descendante et condescendante. Loin de produire de la liberté, de l'égalité et de la fraternité réelles, la centralisation entretenue par nos partis a conduit à un triple mensonge : une confiscation historique du pouvoir par une classe hors-sol, un renforcement des puissants et des favorisés du système actuel, un éclatement de notre société qui conduit à un durcissement des égoïsmes et à des réflexes identitaires les plus obtus.
Ce triple mensonge, c'est celui de notre classe dirigeante, celle qui fabrique l'abstention et obstrue tout espoir, celle d'une caste qui bloque l'exceptionnel talent de notre pays et l'emmène plus loin que dans le mur, car le mur, nous l'avons déjà dépassé : 9 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté, je le redis, 2150 milliards de dettes et plus de 6 millions de chômeurs.
Et le pays des droits de l'homme, oublieux de sa grandeur, ne sait même plus accueillir des réfugiés qui fuient des bombardements! Ces grands professionnels de l'échec, perclus de certitudes, manient des concepts mathématiques - taux d'inflation, de chômage et de croissance - qui ne sont que des moyennes, sans lien avec ce que chaque citoyen vit sur le territoire qu'il habite. Ils ne sont plus que les experts de la complexité qu'ils ont eux-mêmes créée.
Cela suffit ! Comment peut-on affirmer que la France va mieux simplement parce que le calcul le montre, alors que le quotidien vécu prouve le contraire ? Comment ne pas voir que l'essentiel de nos territoires reste exclu de la croissance ? Comment abandonner nos ambitions européennes vitales au moment où elles sont de plus en plus nécessaires? De partout monte le cri : Cela suffit !
Arrêtons d'accepter ce qui ne doit plus l'être par les gens de bien.
Retrouvons ensemble la grande joie d'être français, le robuste bonheur de faire confiance aux praticiens, et non aux techniciens éloignés du terrain. Ne gâchons plus nos vraies capacités, pendant que le monde s'élance vers l'avenir. Ne laissons plus notre puissance économique fondre, pendant que des usines prospèrent de l'autre côté de nos frontières. N'acceptons plus de voir notre culture et notre langue être source d'entraves au lieu d'être les ciments et les ferments d'une grande France sûre d'elle-même.
Relayons tous ce cri : Cela suffit ! Comprenons que la solution ne peut plus venir du haut calcifié, mais des territoires vivants. Là où le peuple vit avec intelligence, aime, ose, entreprend, crée. Là où des élus - souvent incroyablement ouverts sur le monde - inventent des solutions qui marchent vraiment. Là où l'on peut résoudre les vrais problèmes à partir du réel et non à partir de rapports : l'emploi, le logement, la santé, le social, l'éducation, etc. Là où l'on peut allier toutes les énergies pour fabriquer à nouveau de l'espoir crédible.
Comprenons que la solution ne peut être que collective et horizontale. Terminé les « moi, président » de l'un ou de l'autre ! Les « j'y vais » ou pas ! C'est « j'y vons ! » que nous devons crier. Rien ne pourra venir d'un homme ou d'une femme miracle ni d'ego dilatés. Tout redeviendra possible à condition de promouvoir un nouveau type de leadership fondé sur l'empathie souriante, le soutien et la responsabilisation de tous. Tout redeviendra possible à condition que chacun fasse sa part non pas seul, mais avec les autres. En équipe ! Voilà l'enjeu de 2017 : construire une France solidaire et ascendante qui parte vraiment de ses territoires, une France qui mobilise tous les Faizeux qui ont gagné leur légitimité par l'action effective, une France où l'Etat ne dit plus ce qu'il faut faire, mais soutient avec agilité les plus faibles ainsi que ceux qui agissent avec courage.
Ne nous trompons pas : une telle révolution culturelle et politique - renoncer à se tourner vers un papa magique - ne peut pas être menée par ceux qui nous ont conduits là. Ce sont leur mode de pensée, leur habitude ancrée de ne pas faire confiance, leur façon d'être et leurs méthodes rigides, absolument non collaboratives, qui sont en cause ; ainsi que leur propension, disons-le, délirante à la personnalisation du pouvoir.
Avec ces ego-là, suroccupés d'eux-mêmes et de leurs stratégies narcissiques, le moi étouffera toujours le nous.
Cela ne viendra pas non plus des extrêmes, qui désho -norent notre drapeau et dont l'arrivée au pouvoir ne ferait qu'aggraver le mal français : la logique centralisatrice et descendante, qui n'est pas la solution mais bien le problème.
Ceci suppose une insurrection positive et bienveillante, emmenée par des Faizeux respectés. Je dis bien une insurrection républicaine, menée par toutes celles et ceux dont la légitimité repose non sur des promesses, mais sur le fait d'avoir accompli des réalisations très concrètes sur un territoire. Une insurrection civique qui sache associer les quelques rares politiques nationaux qui ont compris que non, ce n'est juste plus possible de continuer comme avant dans une France verticale tenue en vain par l'aristocratie d'Etat et bien sûr nos meilleurs politiques locaux, les vrais dégourdis de la République, que leurs concitoyens estiment.
Sinon, la société implosera sous la double pression des tensions qui l'habitent et des révolutions en cours au plan mondial. Il est temps, encore temps, mais juste temps : 2017 est l'échéance à ne pas manquer pour prendre le pouvoir central, non pour l'accaparer mais bien pour le donner aux territoires et à ceux qui y agissent, c'est-à-dire à la France réelle, courageuse et de coeur.
La « Primaire des Français », que j'ai soutenue avec ardeur, s'inscrivait dans cette logique, mais la dynamique était insuffisante.
C'est une « Alliance des citoyens en marche » qui est nécessaire, et c'est elle que j'appelle. Une Alliance qui soit l'outil de rupture politique, l'offre alternative et surtout très collective qui doit rassurer le pays et lui permettre d'échapper au cancer affreux du fatalisme. Une Alliance qui n'a pas besoin d'un homme providentiel, mais d'un peuple providentiel qui se prend en main.
Cette Alliance doit être avant tout celle de ceux qui entreprennent déjà pour réparer le pays : les maires et élus locaux, les entrepreneurs de l'économie sociale et solidaire ou de l'économie classique, les responsables d'associations, les simples citoyens acteurs, les fonctionnaires créatifs, les femmes d'exception qui se sont levées. Tous ceux que notre aristocratie d'Etat tient pour illégitimes.
Sans leurs compétences visibles, la France serait déjà morte ; sans leurs pratiques ingénieuses et disruptives, rien ne sera possible demain. Ils et elles sont le socle de la renaissance méthodique, les vrais généraux du retour de la France, car ils et elles seront les moteurs dont elle a besoin. Déverrouiller ne suffira pas. Il faut rallumer les vrais moteurs. Le pouvoir vient d'en haut, la puissance d'en bas.
Cette Alliance est ouverte à tous les responsables politiques qui, conscients des blocages, sont déjà en route, ceux qui ont la vraie modestie de mettre au premier plan les citoyens qui agissent déjà, ceux qui veulent cette France des territoires et ont montré à maintes reprises qu'ils étaient des femmes et des hommes libres.
Je pense à tous les partis et mouvements citoyens qui parient depuis toujours sincèrement sur l'initiative des gens - ceux de la Primairedesfrançais.fr - ou aux intellectuels-faizeux, prêts à sortir du cadre, comme Jacques Attali.
Je pense à nos présidents de région qui, en off, avouent être en opposition avec leurs partis centralisateurs. Ceci est connu de tous les initiés, mais est encore un secret pour les Français. Que ces vrais Faizeux rejoignent l'Alliance à leur rythme et prennent eux aussi la tête de cette révolution par les territoires.
Nous voulons les renforcer, les libérer, parier sur leur capacité à prendre en main les sujets que Paris ne peut qu'ignorer. La vérité est qu'il y a actuellement à la direction des régions un personnel politique de format très supérieur aux Diseux qui pullulent sur la scène nationale. Je pense à nos grands élus locaux que la population applaudit sincèrement, par-delà les clivages traditionnels, parce qu'ils font réellement réussir leur morceau de France. Ces victoires vérifiables donnent droit à tenir des rôles de premier rang.
Je pense au grand Jean-Louis Borloo, qui, après avoir redynamisé Valenciennes, a su mettre son énergie et son savoirfaire au service de la reconstruction des banlieues, de l'écologie appliquée, et maintenant de la cause de l'Afrique, qui change de l'autre côté du lac de la Méditerranée. Si quelqu'un a jamais eu le pragmatisme dans le sang au sein d'un gouvernement, et obtenu des résultats en reconstruisant nos banlieues, c'est bien lui ; tout le monde le sait. Qu'il sorte de sa réserve au moment où la France en a urgemment besoin!
Je pense à l'exemplaire Nicolas Hulot, dont la mobi -lisation en faveur de l'écologie se traduit depuis des années en actions concrètes. Sans lui, la conférence tenue à Paris en 2015 sur les changements climatiques, la conférence COP 21, n'aurait pas pu être un succès. Sa campagne « My positive impact » a mis sa fondation à la tête de dizaines de projets novateurs pour lutter contre le changement climatique, toutes des réalisations de premier rang.
Je pense à ce grand monsieur qu'est Jean-Paul Delevoye. Son passage mémorable à la tête de l'Association des maires de France en a fait un ami des élus disruptifs qui se bougent réellement, et qui osent. Ses années passées à la tête d'un Conseil économique et social qui fonctionnait alors autrement, hors de tout train-train institutionnel, lui ont donné une connaissance approfondie - et la confiance - des Faizeux qui font la différence.
Je pense à l'énergique Daniel Cohn-Bendit, animal libre qui a toujours su mobiliser son enthousiasme au service de causes justes et transnationales. Avec son caractère, l'Europe serait présente physiquement dans l'Alliance. Et puis, son approche très concrète d'élu local en Allemagne fait de lui un acteur incontournable pour notre grand pays européen qui doit redevenir un architecte du continent.
Je pense à Vanik Berberian, le pugnace et trop méconnu président des Maires ruraux de France, qui se bat chaque jour pour défendre la ruralité méprisée, oubliée et, disons-le, incomprise par Paris. Ses révoltes légitimes sont celles de tous les Français qui agissent. Partout, dans l'ignorance du pouvoir central, des villages renaissent grâce à ses troupes d'audacieux : les vrais capitaines de la République.
Je pense à l'initiative disruptive prise par le courageux Jean-Christophe Fromantin, qui en appelle lui aussi à une France des territoires et a au coeur de son projet la sortie de notre pays de quatre siècles de centralisation. Lui aussi rassemble des citoyens en cherchant à identifier leurs capacités d'action réelle - donc des gens respectés car respectables.
Je pense à l'innovant Emmanuel Macron et à son mouvement En marche. Ses luttes sans merci à l'intérieur d'un système moribond qui le craint en font un acteur de poids. S'il est sincère, comme je le crois, dans sa conviction que la France qui agit déjà doit avoir un rôle central dans notre redressement, qu'il apporte à l'Alliance son ample connaissance du monde économique et de la machinerie publique.
Et qu'il sorte enfin d'un gouvernement miné qui n'a plus pour fonction que d'assurer la reconduction d'un système usé. Il est des fidélités plus grandes que celles que l'on doit à un président ; celles que l'on doit à son pays.
Je pense à Thierry Mandon, serviteur rare de la République qui, au travers de ses expériences multiples alliant des responsabilités locales, nationales et ministérielles, a compris combien il nous fallait revoir de fond en comble la façon même de diriger notre pays. Que lui aussi quitte le gouvernement et fasse bénéficier l'Alliance de son savoirfaire précieux acquis sur la réforme de l'Etat et la simplification.
Vous remarquerez que tous portent une joie, une fièvre, une grandeur.
Positivons nos colères avant les grands craquements, arrêtons ce gâchis insensé et lançons l'insurrection citoyenne. Ajustonsnous tous cet été pour, à la rentrée, oser ensemble.
Ne soyons pas vivants isolément. Chacun séparément ne pourra strictement rien contre les blocages du système. Nous le devons à la France, à nos enfants. Chacun doit sortir du « je » pour participer à la grande équipe de France de ceux qui ont déjà fait.
Telle est la logique de l'appel que je lance aujourd'hui, l'appel pour l'Alliance des citoyens en marche : la puissance et la force inarrêtable d'un « nous » construit sur la diversité et l'intelligence de coeur de ceux qui, sans arrièrepensée étriquée, y participeront.
L'objectif commun est clair : débrancher le logiciel centralisateur, permettre au peuple d'être enfin acteur et parier sur la puissance de la France qui fait déjà sa part. Croire dans les Faizeux, les capables méprisés, les praticiens déjà en marche. Soutenus, ces leaders légitimes créeront les grands programmes efficaces dont les gens ont besoin.
C'est ce qui permettra de faire gagner la grande France. A la rentrée, disons tous « j'y vons ! », et non « j'y vais ». Tout commence maintenant pour que le pays rétablisse lui-même tous les minimums qui ne sont plus assurés. Ce qui est bien le minimum du minimum ! Je ferai ma part pour que l'Alliance dise toujours « nous », et jamais « je ». Et vous ?

Alexandre Jardin
Nicolas Hulot 
« Sans lui, la conférence COP 21, sur les changements climatiques, en 2015, n'aurait pas pu être un succès. »
 
Jean-Louis Borloo 
« Qu'il sorte de sa réserve au moment où la France en a urgemment besoin ! »
Jean-Paul Delevoye 
« Son passage à la tête de l'Association des maires de France en a fait un ami des élus qui se bougent et qui osent. »
 
Daniel Cohn-Bendit 
« Un animal libre, qui a toujours su mobiliser son enthousiasme au service de causes justes et transnationales. »
Vanik Berberian 
« Il se bat chaque jour pour défendre la ruralité méprisée, oubliée et, disons-le, incomprise par Paris. »
 
Jean-Christophe Fromantin 
« Il a au coeur de son projet la sortie de la centralisation. »
Thierry Mandon
« Il a compris combien il fallait revoir de fond en comble la façon même de diriger notre pays. »
Emmanuel Macron
« Ses luttes sans merci à l'intérieur d'un système moribond qui le craint en font un acteur de poids. »